Agressions à Nancy : des étudiants visés par l'extrême-droite

La Rédaction
par La Rédaction
le mardi 25 mars 2025

L’extrême droite s’est à nouveau illustrée dans des faits de violence la semaine passée. Armés de battes en métal, des individus cagoulés s’en sont pris à des étudiants des campus Droit et Lettres. L’Université de Lorraine déplore un blessé grave parmi les victimes et a déposé plainte contre les agresseurs appartenant à une « mouvance politique extrémiste » qui n’est pas nommée.

De graves agressions ont eu lieu la semaine dernière aux abords des principaux campus de Nancy, mettant en cause des groupes partageant le mode opératoire des organisations d’extrême-droite : la violence et l’intimidation en bande armée visant des étudiants racisés. 

Lundi soir, un étudiant a été transféré aux urgences après avoir reçu plusieurs coups de battes en métal, à la sortie d’un cours de sport organisé par le SUAPS du campus Lettres. Plus tard dans la semaine, ce sont des étudiantes qui ont été attaquées, l’une d’elle ayant « perdu des dents », selon plusieurs étudiants témoinsVendredi, un étudiant aurait également été pris en chasse par des individus armés depuis le Passage de la Ravinelle, fréquemment emprunté par les étudiants des deux campus, et aurait trouvé refuge à la Faculté de droit. Aussi peu glorieux soit-il, ce passage est connu pour être un lieu prisé par les groupuscules d’extrême-droite qui y exposent leur art, des tags racistes et d’inspiration nazie.

Ce sont ces mêmes groupuscules qui sont pointés du doigt par les étudiants interrogés. Selon eux, les agresseurs, tous issus de la mouvance identitaire, s’en prendraient aux étudiants racisés ou militants dans les organisations de gauche. Pire encore, ils n’hésiteraient pas à voler les papiers des victimes et à les suivre pour les agresser à nouveau. Les étudiants pointent du doigt l'œuvre de la section nancéienne de l’Action française, bien que plusieurs autres groupes sévissent dans les parages. 

Une extrême droite violente en recrudescence dans les rues, y compris à Nancy

Loin d’être un bloc homogène, l’extrême droite française se divise aujourd’hui en plusieurs tendances, cartographiées et classées par le média Streetpress en cinq grandes familles idéologiques : les identitaires, les confusionnistes, les nationalistes-révolutionnaires, les monarchistes et les catholiques intégristes. L’enquête menée a recensé 320 sections locales de groupuscules d'extrême droite radicale à travers le pays, présents dans 130 villes françaises. À Nancy, six cellules actives d'extrême droite sont identifiées : l’Action françaiseArgosAurora Lorraine, les Brizak, la Cocarde, la Fraternité Saint-Pie X et Nancy Royaliste. Notons aussi l’implantation récente de l’Active Club Lorraine, un club nationaliste.

Doyenne de ces groupes, l’Action française est aujourd’hui acquise à l’idéologie identitaire et se mêle volontiers aux autres groupes d’extrême-droite. Ses militants royalistes s'étaient illustrés aux côtés des hooligans Brizak le 11 juin 2024 pendant une manifestation antifasciste, où une quinzaine de militants ont attaqué la foule à coups de ceinturons.

D’autres groupuscules radicaux agissent au sein de Nancy. Aurora Lorraine, un groupe identitaire affilié au Groupe Union Défense (GUD) et organisant des stages de boxe et d'autodéfense, avait notamment lancé un appel à une marche aux flambeaux le 5 janvier 2025. Le groupe néofasciste s’est également fait connaître pour avoir préparé un attentat contre le concert de Bilal Hassani en 2023 à Metz, ayant provoqué son annulation pour des raisons de sécurité. Sans gagner ni l’une, ni les autres, le syndicat étudiant la Cocarde est actif dans la rue comme aux élections étudiantes. Ces militants ont notamment l’habitude de s’introduire sur le campus Lettres pour intimider les étudiants, scandant ses habituels discours contre le « gauchisme culturel » et la « propagande LGBT+ ». 

A Nancy, l’action de ces groupes s'est intensifiée depuis les élections européennes, avec une augmentation des signalements de violences racistes. Ainsi, une agression raciste d’une violence inouïe a eu lieu en février dernier, où plusieurs jeunes âgés entre 18 et 23 ans ont lancé des injures racistes à un homme en sortie de boîte de nuit, avant de s’en prendre physiquement à lui. Les agresseurs auraient stoppé leurs coups en croyant avoir tué leur victime : « Arrête de taper, il est mort ! »

 

Un contexte politique favorable à ces groupes violents

La France traverse une période de fortes tensions politiques, marquée par une polarisation croissante de la société. Une dynamique dont l’extrême droite tire profit pour renforcer son ancrage dans le pays, comme en témoigne la progression électorale du Rassemblement National. Selon les politologues Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg, l’extrême droite repose sur une conception organiciste de la société, perçue comme un « organisme vivant » devant être préservé des influences extérieures. Le spécialiste de l’extrême-droite Cas Mudde souligne quant à lui le rôle central du nationalisme, du racisme et de la xénophobie dans ces idéologies, ainsi que leur aspiration à un État autoritaire chargé de restaurer un prétendu « ordre naturel ». Autour de ces idées gravitent des groupuscules enclins à la violence, dont les liens avec les formations institutionnelles, comme le Rassemblement National ou Reconquête d’Éric Zemmour, restent souvent perméables.

Des réactions institutionnelles sans réelle cohérence

Dans un communiqué adressé aux étudiants du campus Lettres vendredi dernier, l’Université reconnaît l’agression ayant eu lieu dans la soirée de lundi, déclarant que « l’Université a immédiatement déposé plainte et qu’il a été demandé à la police de multiplier les patrouilles autour du campus ». Pour autant, les responsables du campus ne semblent pas connaître l’identité du groupe responsable, si ce n’est le caractère politique de l’agression. Le reste est laissé à l’enquête de la police. 

« Sachez que l’Université a immédiatement déposé plainte et qu’il a été demandé à la police de multiplier les patrouilles autour du campus »

Cette semaine, ce fut au tour du doyen de la faculté de droit et de gestion de s’exprimer auprès de ses étudiants, dans un communiqué que nous avons pu obtenir. Celui-ci qualifie les événements de la semaine passée d’« altercation ponctuelle, brutale mais réglée en son temps ». Toutefois, cette réaction prend-elle la juste mesure de l'ampleur de ces mouvements de haine ?

Reste la question de l’appartenance ou non des agresseurs à la communauté universitaire. Il est de notoriété publique que plusieurs étudiants nancéiens “militent” au sein de ces groupes ; si l’Université évoque la possibilité d’une agression provenant de l’extérieur, le doyen y voit, lui, une altercation entre étudiants. Qui faut-il donc croire ?

Ces derniers jours, de nombreux étudiants nancéiens confiaient avoir peur : certains n’osent plus rentrer seuls, d’autres se sont équipés d’alarme et d’outils de protections personnels. L’Université dit comprendre « la légitime inquiétude qui peut exister », tout en appelant chacun à « garder son calme, tout en exerçant une vigilance collective ».