Traité bilatéral France-Pologne de Nancy : un rapprochement pas si anodin ?
La France et la Pologne ont choisi Nancy pour la signature d’un nouveau traité bilatéral de coopération protéiforme, alliant symbolisme et ambitions stratégiques.
A l’image des traités d'amitié signés par la France avec l’Allemagne en 1963 (traité de l'Élysée, réétayé en 2019 par celui d’Aix-la-Chapelle), l’Italie en 2021 (traité du Quirinal) et l’Espagne en 2023 (traité de Barcelone), le futur traité de Nancy, dont la signature devrait se tenir avant mai 2025, officialisera de manière symbolique le renforcement de la coopération entre la Pologne et la France sur de nombreux domaines.
La raison du choix de Nancy comme lieu de signature est évidemment à trouver dans le passé de la cité ducale : Nancy et Lunéville ont été les dernières résidences de Stanislas Leszczynski, deux fois roi de Pologne (1704-1709 et 1733-1736) et dernier duc de Lorraine (1737-1766).
Le futur traité se veut symbolique et assez large : « [il] va permettre dans les domaines stratégiques, de la défense à l'énergie, en passant par le nucléaire, la coopération scientifique, linguistique, culturelle, de sceller des liens encore plus forts entre nos deux pays », a déclaré Emmanuel Macron en visite officielle à Varsovie en décembre 2024. Un mémorial sera même érigé à Toul, à la mémoire des travailleurs polonais venus travailler en France dès la fin de la Première Guerre mondiale, d’abord sur les chemins de fer puis dans les mines, au sein d’entreprises sidérurgiques ou encore pour les exploitations agricoles de Lorraine et de France.
Ce rapprochement avec la Pologne est d’autant plus facilité par la récente accession de Donald Tusk aux rênes de son pays. Le nouveau Premier ministre polonais, aux visions libérales et pro-européennes, a en effet succédé à huit ans de gouvernance PiS (Prawo i Sprawiedliwość, ou Droit et Justice, en français), parti d’extrême droite, nationaliste et eurosceptique. Kinga Brudzinska, analyste chez Polityka Insight à Varsovie, explique pour Les Echos qu’« avec ce genre de traités, Donald Tusk veut montrer qu'il rétablit de bonnes relations avec les pays stratégiques de l’Union européenne ». Aussi pour Les Echos, Lukas Macek parle d’insuffler performativement un nouvel élan au Triangle de Weimar, coopération trilatérale moins formelle entre la France, l'Allemagne et la Pologne au bilan « pour l'instant un peu décevant ».
Cinquième pays le plus peuplé de l’Union européenne et neuvième économie européenne, la Pologne représente un partenaire géopolitique de choix pour la France. Place forte de l’OTAN depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie par laquelle transite la quasi-totalité de l’aide matérielle occidentale à destination de l’Ukraine, la Pologne, bien que très atlantiste, ne serait pas insensible aux appels à la souveraineté européenne lancés par Emmanuel Macron, explique Lukas Macek dans Les Echos. Doté de la première armée européenne en matière d’effectifs et consacrant 4.7% de son PIB pour la défense (plus que les Etats-Unis), la Pologne pourrait bien devenir la nouvelle meilleure amie de la France, dont le président plaide haut et fort pour l’ouverture d’un « débat qui doit donc inclure la défense antimissile, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine », appelant donc à une unité militaire européenne chapeautée par la France qui garderait tout de même « sa spécificité [nucléaire] mais est prête à contribuer davantage à la défense du sol européen ». La France, par ailleurs, a exprimé son soutien aux appels au développement par dette commune de l’industrie européenne de défense récemment lancés par la Pologne.
Avec les Etats-Unis qui viennent tout juste de passer sous commandement Trump, grand sceptique des dynamiques atlantistes, la question d’une Europe militaire, d’une Europe de la défense, se pose de plus en plus chez les penseurs libéraux européens, surtout si les Etats-Unis se montrent de moins en moins coopératifs. Conjuguée à l’actuelle présidence polonaise du Conseil de l’Union européenne (pour une durée de six mois), la présente conjecture pourrait bien faire avancer le débat sur la souveraineté militaire du vieux continent : « Si l'Europe veut survivre, elle doit être armée », a déclaré Donald Tusk lors de son discours lu au Parlement européen le 22 janvier 2025. Mais malgré la visite de Sébastien Lecornu, Ministre des Armées, en Pologne le 13 janvier, Donald Tusk a tout de même émis des réserves quant au débat sur l’envoi de troupes en Ukraine (proposé par Emmanuel Macron) tout en réaffirmant la nécessité de continuer à fournir une aide matérielle et financière.
La question sera donc de savoir si le traité de Nancy ne sera que l’acte performatif d’un rapprochement bureaucratique entre ces deux administrations ou alors la marque d’un début de la mise en œuvre de projets communs, biens plus grands et biens moins anodins.