Vosges : comment le gouvernement et Nestlé ont défendu une eau contaminée

Anatomie d'un scandale d'État, où dans l'exploitation des sources minérales vosgiennes, le gouvernement Borne - Macron a favorisé des intérêts privés au détriment de la santé des consommateurs.
La multinationale suisse Nestlé détient à elle seule plus d'un tiers du marché de l'eau minérale en France, notamment à travers deux sites sur le territoire français : dans les Vosges (Vittel, Hépar, Contrex) et dans le Gard (Perrier). Main dans la main, le gouvernement Borne - Macron et Nestlé Waters n'ont pas pas hésité à agir en secret : alors que des contaminations par des bactéries coliformes et entérocoques (des matières fécales) ont été détectées dans les eaux commercialisées, le gouvernement a préféré modifier la réglementation afin de permettre à Nestlé Waters la poursuite de ses ventes. En janvier 2024, une vaste enquête du Monde et de la cellule investigation de Radio France révélait le scandale.
Selon une enquête de la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) révélée par Mediapart, la fraude est estimée à plus de 3 milliards d'euros. Pire encore : alors que les autorités sanitaires ont alerté à plusieurs reprises sur le danger encouru pour la santé des consommateurs, le gouvernement et Nestlé Waters ont fait la sourde oreille.
Une eau filtrée de manière illégale
Les Français sont parmi ceux consommant le plus au monde d'eau en bouteille : 72% en consomment de manière hebdomadaire (étude Ipsos, 2024). Pourquoi ? La plupart des interrogés invoquent des raisons sanitaires ; malgré le coût (une eau minérale en bouteille étant 100 à 400 fois plus chère), les consommateurs cherchent à s'assurer de boire une eau pure via une eau minérale, là où une défiance existe parfois vis-à-vis de l'eau du robinet.
La qualité des eaux minérales est encadrée par le code de la santé publique : pour être vendue comme minérale, une eau ne doit subir aucun traitement, hormis quelques exceptions mineures bien encadrées. Dans tous les cas, ces traitements ne « doivent pas modifier la composition de l'eau minérale naturelle », ou viser à « modifier les caractéristiques biologiques de l'eau ».
Pourtant, ces règles sont dans les faits peu respectées, en toute illégalité. En 2022, Médiacités révélait l'existence d'une enquête de la répression des fraudes pour des traitements non conformes sur les eaux du groupe Alma (St-Yorre, Vichy, etc.). Cette première enquête sera suivie d'un rapport de l'Igas (Inspection Générale des Affaires Sociales). Les constats, consultés par Le Monde et la cellule investigation de Radio France, sont édifiants : « Les travaux ont permis de révéler que près de 30% des désignations commerciales subissent des traitements non conformes ». Autrement dit, un tiers des marques d'eaux minérales commercialisées en France ne respectent pas la réglementation. Ce chiffre peut sembler conséquent, et pourtant, il est en réalité « très probablement supérieur », expliquent les experts, compte tenu « des difficultés pour les services de contrôle d'identifier des pratiques délibérément dissimulées ».
Nestlé est particulièrement pointé du doigt par ce rapport, qui évoque de « graves écarts » à la réglementation, puisque 100% de ses marques sont concernées. En clair, non seulement sont constatés des non-respects de la réglementation ; sont aussi observés des tentatives délibérées de dissimuler les infractions, parfois de manière grotesque. Le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille détaille : Nestlé est allé jusqu'à cacher ses filtres illégaux dans des fausses armoires électriques pendant le passage des experts sanitaires dans ses locaux, et à volontairement les tromper les agents ; alors qu'ils pensaient prélever de l'eau directement à la source, Nestlé leur donnait des échantillons déjà filtrés.
Le gouvernement était au courant de la situation, depuis au moins l'été 2021. Alors que l'article 40 du code de procédure pénale impose aux agents de l'État de dénoncer tout crime ou délit dont il aurait connaissance, la justice ne sera jamais alertée. Bruno Le Maire (alors ministre de l'Économie et des Finances), Agnès Pannier-Runacher (ministre déléguée à l'Industrie) et Olivier Véran (ministre des Solidarités et de la Santé) taisent l'affaire. Pire encore : en février 2023, le gouvernement va accorder une dérogation spéciale à Nestlé Waters. Dans un compte-rendu que Le Monde et la cellule Investigation de Radio France ont pu consulter, le cabinet de la première ministre Elisabeth Borne accorde à Nestlé « la possibilité d'autoriser par modification des arrêtés préfectoraux la pratique de la microfiltration inférieure à 0,8 micron ». Soit une multiplication par quatre du taux précédemment autorisé, qui était alors de 0,2 micron. Ce même compte-rendu évoque une « surveillance renforcée bactériologique et virologique de la qualité de l'eau » ; l'action complice de Nestlé Waters et du gouvernement Macron-Borne se serait-elle faite en dépit d'un risque sanitaire ?
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De multiples alertes sanitaires
Le rapport de la commission d'enquête parlementaire est accablant : à de nombreuses reprises, le risque sanitaire a été minimisé par Nestlé et le gouvernement. Pourtant, les alertes sanitaires ont été multiples, comme le relate France Bleu. Le gouvernement Borne les a toutes ignorées, et alors même que des preuves de sécurité sanitaire manquaient, a poursuivi sa collaboration avec Nestlé Waters.
Les experts de l'Igas évoquent dès 2022 la microfiltration comme une « fausse sécurisation », exposant les consommateurs à « un risque sanitaire en lien avec l'ingestion de virus ». Une alerte partagée par l'ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire), qui dans un rapport rendu en janvier 2023 alerte sur le fait qu'aucune preuve ne permet d'affirmer qu'une filtration avec des seuils de coupure inférieurs à 0,8 micron permet d'assurer la sécurité sanitaire de l'eau embouteillée. Alerte partagée par l'ARS Grand Est, qui explique que « cette pratique induit le risque de masquer des contaminations, sans apporter de garantie sanitaire suffisante ».
Ces inquiétudes ont même été relayées en interne par l'alors nouveau Ministre de la Santé, François Braun. Dans une note de septembre 2022 adressée aux cabinets Borne et Macron, il partage ses inquiétudes concernant « la qualité microbiologique des ressources en eau exploitées par Nestlé Waters », évoquant une « existence de risques sanitaires liés à la présence de virus entériques d'origine hydrique (voire d'autres microorganismes pathogènes) » qui ne peut être exclue. Pourtant, quelques semaines plus tard et malgré les alertes, la cabinet d'Elisabeth Borne va accorder la dérogation en catimini à Nestlé Waters.
Au delà de la tromperie, la pollution
Au-delà de la tromperie orchestrée par Nestlé et le gouvernement Borne, se pose la question de la qualité de nos ressources en eau. Si Nestlé s'est livré à un filtrage illégal de son eau, c'est car le constat est alarmant : l'eau ne peut être consommée sainement sans filtrage préalable. Un filtrage qui parfois, n'est pas suffisant pour gommer tout risque sanitaire, comme les alertes précédemment évoquées le montrent. Un filtrage également inefficace lors de la présence de polluants éternels.
En décembre 2024, Vittel et Nestlé Waters ont ainsi de nouveau été mis en cause. Le réseau européen Pesticide Action Network publiait les résultats d'analyse menées sur 19 eaux minérales européennes : l'eau Vittel contenait des traces d'acide trifluoroacétique, un PFAS, jusqu'à plus de quatre fois au-dessus du seuil réglementaire maximal autorisé.
Nestlé Waters toujours, fera face à un procès au tribunal correctionnel de Nancy du 24 au 28 novembre 2025. En cause : des décharges sauvages dans les Vosges, représentant plus de 400 000 mètres cubes de déchets. Cette accumulation de déchets, cachée pendant des années, a provoqué des contaminations aux microplastiques des sources Hépar et Contrex. Comme le révèle Médiapart suite aux enquêtes du pôle régional environnemental du parquet de Nancy et de l'Office Français de la Biodiversité (OFB), ces taux de microplastique « exorbitants » présentent un réel risque pour la santé.
La fabrique de l'ignorance
La fabrique du doute et de l'ignorance n'est pas un phénomène nouveau dans les scandales sanitaires et environnementaux. Dissimulations, omissions, mensonges : les groupes privés ne lésinent pas sur les moyens employés pour conserver leurs profits. Mais ici dans ce scandale des eaux contaminées, la complicité du gouvernement interroge, et semble même s'inscrire dans un schéma plus vaste. Récemment, la loi Duplomb l'illustre parfaitement : des intérêts privés sont privilégiés par la puissance publique, au détriment de la santé des citoyens et de l'environnement.
Récemment, Transparency International signalait une « alerte démocratique inédite » : dans leur classement IPC (Indice de Perception de la Corruption) 2024, la France dégringole au classement, en tombant à la 25ème position du classement mondial. Pour l'ONG, le constat est sans appel : « la France risque de perdre le contrôle de la corruption ». Les causes sont claires : multiplication des scandales politico-financiers (affaires des attachés parlementaires du RN, affaire Bygmalion, etc), ou encore maintien des ministres et proches de Macron au pouvoir malgré leur mise en examen (depuis 2017, Mediapart en compte 26). Enfin, Transparency International pointe une « corruption de plus en plus incarnée » ; les affaires ne se cantonnent plus à des simples affaires politico-financières. Elles affectent désormais pleinement le quotidien des français, allant jusqu'à concerner directement l'environnement et la santé des citoyens. L'ONG donne alors une illustration de ce phénomène : l'affaire Nestlé Waters.